Une rencontre qui a eu lieu ces jours-ci à Milan, en présence de l’archevêque Delpini et des grands maîtres des trois principales obédiences italiennes semble bien aller dans ce sens. Et comme d’habitude, l’Eglise du « qui suis-je pour juger? » sera sommée de faire son mea culpa (après tout, si elle ouvre les bras aux gays, pourquoi pas aux frères-trois-points?). Tout cela évidemment sans l’aval officiel du Pape et même avec une certaine réticence de façade de sa part. Mais le principal artisan d’un rapprochement est Mgr Stagliano l’évêque calabrais qu’il a lui-même nommé en 2022 à la tête de l’Académie Pontificale de Théologie et qui, dans son discours « a fait voler en éclats l’approche doctrinale et préparéla voie à l’ouverture au nom de la Miséricorde ». L’éditorial de Riccardo Cascioli.

La franc-maçonnerie veut un « mea culpa », l’Église commence par un examen de conscience

Riccardo Cascioli
La NBQ
9 février 2024

Il n’y a pas que la proposition du cardinal Coccopalmerio d’une « table permanente » de confrontation entre l’Église et les loges maçonniques : lors de la rencontre de Milan, Mgr Staglianò fait voler en éclats l’approche doctrinale et prépare la voie à l’ouverture au nom de la Miséricorde.

Le dialogue, et même la collaboration, entre l’Église et la franc-maçonnerie doit se poursuivre, peut-être avec une « table permanente » comme l’espérait le cardinal Francesco Coccopalmerio ; mais il est encore plus intéressant de savoir que le sens du dialogue réside dans le fait que l’Église catholique doit changer, doit reconnaître qu’elle a porté un jugement erroné sur la franc-maçonnerie et supprimer ainsi le stigmate qui empêche de nombreux francs-maçons catholiques de s’approcher de la communion.

C’est l’essentiel de la « rencontre historique » organisée par le GRIS [Gruppo di Ricerca e Informazione Socio-religiosa, ndt] – avec un public sélectionné et fermée à la presse – qui s’est déroulée vendredi dernier, 16 février, à Milan en présence de représentants qualifiés de l’Église et de la franc-maçonnerie : d’une part les trois Grands Maîtres des trois loges italiennes – Stefano Bisi pour le Grand Orient d’Italie (GOI), Luciano Romoli pour la Grande Loge d’Italie de l’ALAM (GLDI) et Fabio Venzi (en connexion depuis Rome) pour la Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI) -, d’autre part l’archevêque de Milan Mario Delpini, le cardinal Coccopalmerio déjà cité, le théologien franciscain Zbigniew Suchecki et, surtout, l’évêque Antonio Staglianò, président de l’Académie pontificale de théologie et véritable star de l’après-midi.

Les trois francs-maçons – dont deux ont rendu leur discours public – avec des nuances différentes ont tous défendu la compatibilité de la franc-maçonnerie avec la foi catholique : Bisi a raconté comment sa croissance dans la sphère catholique l’a amené à rejoindre le Grand Orient ; Romoli a brossé un panorama allant de Saint Anselme au cardinal Zuppi ; Venzi a souligné comment les rituels anglais sont chrétiens depuis leurs origines.

Par suite, les condamnations répétées de l’Église (près de 600 en trois siècles) seraient le résultat de l’incapacité de l’Église à comprendre exactement ce qu’est la franc-maçonnerie. Bisi a également montré sa déception face au fait que le Pape François avait ouvert la porte aux homosexuels, puis aux divorcés, mais a oublié que parmi les francs-maçons il y a aussi beaucoup de catholiques qui sont empêchés de communier et quand il s’est agi d’accorder des lettres de créance à un ambassadeur franc-maçon, il a dit ‘non’ « .

En résumé, est-il possible que « Qui suis-je pour juger ? » et « Todos, todos » ne s’appliquent pas aux francs-maçons ?

Mais le Grand Maître doit bien savoir à qui il a affaire et après la réprimande vient l’encouragement, valorisant ceux qui, dans l’Église, pratiquent le dialogue et sont toujours prêts à poser des questions : ainsi, en conclusion, il cite le cardinal Carlo Maria Martini puis espère s’attend à ce qu’ « un jour, un pape et un Grand Maître pourront se rencontrer et faire un bout de chemin ensemble, à la lumière du soleil », voire « à la lumière du Grand Architecte de l’univers ».

Face à ces interventions claires et réfléchies, la contrepartie catholique a été déconcertante. Dans l’atmosphère de collaboration de la rencontre, l’intervention du pauvre père Sucheki, qui avait préparé un rapport savant sur les prises de position de l’Église contre la franc-maçonnerie, n’est apparue que comme un acte formel, d’ailleurs aussi quelque peu raillé par l’évêque Staglianò, qui semblait ne pas supporter les rappels de la doctrine.

Mgr Delpini – qui, après avoir imposé la date, l’heure et les conditions de la rencontre, s’est présenté avec 45 minutes de retard – et le cardinal Coccopalmerio ont fait semblant de ne rien savoir de la franc-maçonnerie, mais avec des mots différents, ils ont dit les mêmes choses, deux en particulier : la satisfaction pour cette « rencontre entre personnes » et non entre sigles opposés et la nécessité de poursuivre et d’intensifier ces rencontres, peut-être avec une « table permanente », comme l’a souligné Coccopalmerio.

Et ce fut donc au tour de Mgr Staglianò de monter sur scène, et aussi beaucoup plus longtemps que prévu, en posant les bases pour l’avenir : prévu pour expliquer les raisons de l’irréconciliabilité entre l’Église et la franc-maçonnerie, il a en fait fait un long discours-spectacle démolissnt l’approche doctrinale du côté catholique et allant en substance dans le sens des demandes des exposants francs-maçons.

Il est intéressant de noter que Staglianò tient toujours à se montrer inexpérimenté en la matière et donc uniquement présent pour témoigner de sa foi. En fait, non seulement il a déjà assisté à au moins une réunion de ce type en 2017 lorsqu’il était évêque de Noto, en Sicile, mais dès son arrivée dans la salle de réunion, il a montré une grande familiarité avec plusieurs représentants francs-maçons. Et c’est peut-être une coïncidence, mais sa croix épiscopale était déplacée (cachée ?) dans sa poche intérieure gauche de la poitrine, non visible du public (comme on le voit sur la photo) : une étrange façon de témoigner.

Il vescovo Staglianò a colloquio con il Gran Maestro Bisi
Le grand Maitre Bisi et l’évêque qui cache sa croix

Mais pour en revenir à son discours, la ligne de dialogue est claire. Staglianò évacue le fatras doctrinal : la doctrine, dit-il en synthèse, n’épuise pas l’appartenance à l’Église, celle-ci est en effet d’abord la vie, affirmation avec laquelle on pourrait être d’accord s’il ne s’agissait pas d’un expédient pour rendre la foi « liquide ». Et en effet, Staglianò poursuit : « Je m’intéresse à l’événement chrétien, pas à la doctrine ». Et comment définir l’événement chrétien ? Comme la manifestation en Jésus-Christ de « Dieu qui est amour, seulement et toujours amour ». Et donc la Miséricorde : si le monde est corrompu par le péché originel, la Miséricorde vient d’avant même le péché originel, et « pleut sur les justes et les injustes », sur tous. Et voici le passage qui concerne la réclamation de Bisi :

Si, par exemple, un couple homosexuel ne doit pas recevoir de bénédiction, c’est Dieu qui décide, pas moi. « Qui suis-je pour juger ? » signifie précisément ceci : (…) qui suis-je pour juger qu’une condition humaine est telle que quand la Miséricorde de Dieu pleut sur le juste et l’injuste, elle ne la touche même pas de son humidité, car parfois l’humidité de l’eau de la Miséricorde de Dieu suffit à régénérer une vie.

Il est donc clair que c’est aussi le moyen de surmonter l’inconciliabilité avec la franc-maçonnerie. Et une théologie ad hoc est également en cours de préparation. En effet, Staglianò a également critiqué le document du Dicastère pour la Doctrine de la Foi qui, en novembre dernier, a réitéré l’interdiction faite aux catholiques d’adhérer aux loges maçonniques, car il est réducteur, il reste sur le plan de la confrontation doctrinale. Or nous avons besoin d’autres catégories, « nous avons besoin d’une théologie sapientielle saine », celle que le pape François a demandé à l’Académie pontificale de théologie dirigée par Staglianò de développer.

Ça veut dire quoi?

« Une théologie capable de penser de façon critique sur tout, de répondre aussi aux instances critiques de la raison universelle, parce que nous vivons dans un monde où si tu ne dialogues pas, tu risques d’être absolument hors du monde. Sapientielle signifie qu’elle sait unir la science et la sagesse de la vie ».

Ce n’est pas clair? Pas grave, ce qu’il faut comprendre c’est que finalement sur la « sagesse de la vie » on peut aussi collaborer avec les francs-maçons, dans les bonnes œuvres et pour le bien commun. La miséricorde pleut sur tout le monde de toute façon.

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